Article du 23.11.2018

Les élections : elles font la une de l'actualité. D'abord au niveau communal et provincial, bientôt pour nous au niveau fédéral et flamand, tout récemment au Brésil et aux Etats-Unis... Avec des systèmes électoraux tous "démocratiques" et pourtant très différents les uns des autres. Comment faisait-on dans l'abbaye médiévale des Dunes ? A propos de l'élection de l'abbé en 1305, un manuscrit des Dunes particulièrement curieux nous éclaire : le Codex Dunensis.

Le Codex Dunensis est conservé à la Bibliothèque publique de Bruges (n° 418). Il s'agit d'un registre épais contenant toutes sortes de copies, principalement sur les abbayes Ten Duinen et Ter Doest, datant de la fin du 13e et du début du 14e siècle. L'une des pièces incluses décrit en détail l'élection abbatiale de Guillaume van Hulst en 1305, ce qui est exceptionnel - certainement pour l'Abbaye des Dunes.

L'abbé précédent était Thomas de Sittere (ses armoiries sont visibles ci-dessous). Il avait pris ses fonctions en 1301/1302, à une époque où la France tentait d'éliminer une Flandre indépendante. L’abbé des Dunes s'est rangé du côté du roi de France dans ce conflit. Après la bataille des Éperons d'or, de Sutter dut se réfugier à Paris, mais il ne démissionna jamais officiellement de son poste. C'est là qu'il mourut en 1305.

Nous ne savons pas comment Ten Duinen a appris la mort de l'abbé Thomas. L'abbé de Clairvaux, l'abbaye mère de Ten Duinen, prit l'initiative de le remplacer. Il envoya pour cela un abbé à Koksijde. On ne sait pas de qui il s'agit, car le Codex Dunensis (voir image ci-dessous) n'en mentionne pas le nom. Cela n'a peut-être pas grande importance, car la copie était destinée à servir de modèle et, en cas de réutilisation, tous les noms devaient quand même être changés. Nous l'appellerons simplement l'abbé X.

Avant l'élection, l'abbé X convoqua tous les moines, y compris ceux qui étaient aux granges ou ailleurs. Ils se rassemblèrent dans le chapitre. Conformément aux règles de l'ordre, le prieur (la fonction la plus importante après l'abbé) nomma un certain nombre de "electores" (électeurs) avec l'accord du sous-prieur et du cellerarius (l'économe du cellier). Leur nombre exact n'est pas précisé, et nous ne savons pas non plus s'ils comprenaient des aspirants abbés. Leur tâche consistait à élire le nouvel abbé au nom de la communauté. L'abbé X lança alors un appel : toute personne ayant quelque chose de négatif à dire au sujet des electores pouvait désormais le faire. Personne? Les electores du chapitre furent donc nommés par l'abbé X, chargés de choisir l'abbé et prêteraient serment. Leur tâche était clairement définie: en honneur et conscience, pour le salut de leur âme, et ne pensant qu'à Dieu, désigner celui qui était le plus compétent pour diriger l'abbaye dans les affaires spirituelles et temporelles.

Les electores se retirent dans l'église - l'espace le plus sacré de l'abbaye - pour se concerter. Leur choix s'est porté à l'unanimité sur le sous-prieur Guillaume van Hulst (l'un des electores!), en justifiant leur choix : van Hulst était d'âge mûr (plus de 30 ans, comme prescrit pour les abbés), de bonne moralité, cultivé, de bonne réputation, intègre dans les affaires spirituelles et séculières, en bonne santé, et il savait gérer les droits de l'abbaye. (Ce dernier point semble être vrai : van Hulst a probablement pris soin du premier cartulaire ou livre de chartes de l'abbaye, dans lequel toutes sortes de titres légaux ont été enregistrés. Vous pouvez en voir une image ci-dessous).

A côté de l'abbé X, l'abbé de Ter Doest était également présent. Ils se sont penchés sur l’élection: les electores avaient-ils choisi de leur plein gré, tout s’était-il déroulé comme il se devait? Tout semblait en ordre et les abbés se rendirent au chapitre et ont communiqué avec joie le choix du nouvel abbé. Aussitôt, invoquant le nom de Dieu, ils nommèrent Willem van Hulst abbé de Ten Duinen. Puis, en chantant "Te Deum laudamus", toute la communauté se rendit à l'église avec le nouvel abbé, où il fut installé. Enfin, l'abbé X et l'abbé de Ter Doest établirent un rapport de tout cela, qu'ils authentifièrent par leur sceau.

Le texte dans le Codex Dunensis (fol. 59v),publié en 1875 par le baron Kervyn de Lettenhove (pp. 16-18), est remarquablement détaillé ; c'est ainsi le plus ancien texte nous informant de manière aussi détaillée sur une élection abbatiale à Ten Duinen. Le système des electores se pratiquait encore ailleurs, peut-être aussi parce que la communauté était trop nombreuse pour interroger individuellement tous les moines. Les registres électoraux des 17ème et 18ème siècles montrent que cela s'est produit, et l'on peut parfois entrevoir la réalité interne en lisant entre les lignes: on reconnaît des factions et des contrariétés au sein de la communauté, des ambitions individuelles et même parfois de vraies intrigues ou machinations. En effet, bien que l'on attendait l'inspiration nécessaire du Saint-Esprit, ce sont en fin de compte les moines eux-mêmes, des êtres humains, qui ont élu leur nouveau chef spirituel et séculier.

Lorsque Guillaume van Hulst prit ses fonctions (voir ses armories ci-dessus), l'abbaye était en mauvaise posture, notamment en raison des relations difficiles avec les comtes de Flandre, qui n'avaient pas oublié l'appartenance politique du prédécesseur de Guillaume. La situation se serait quelque peu améliorée sous van Hulst, mais ce dernier démissionna au bout de douze ans. Lassé? Son successeur, Lambert Uppenbroeck, originaire de Clairvaux, restera au pouvoir trois fois plus longtemps. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il a pu accomplir beaucoup de choses et est aujourd'hui considéré comme l'un des abbés médiévaux les plus importants de l'abbaye des Dunes.